lundi 8 février 2016

Une histoire de cimetière

Une histoire de cimetière

Une histoire de cimetière
La Toussaint oblige, les cimetières deviennent des lieux très fréquentés. Ce sont également des lieux de vie, qui ont une histoire, voire des histoires, comme celles que racontent les sépultures de Sélestat.
Une visite du cimetière de Sélestat ressemble à s'y méprendre à la lecture des ouvrages d'Alexandre Dorlan sur l'histoire de la ville : c'est un labyrinthe historique passionnant mais où l'on se perd facilement.
Il a été inauguré le 8 mars 1677, en même temps que le cimetière sud, situé près de la porte de Colmar. Ce dernier, en 1927, est intégré dans le périmètre d'extension de la ville ; l'endroit n'accueille alors plus aucune concession. En 1950, il disparait complètement pour permettre la construction d'habitations. Avant cela, durant de nombreuses années, le cimetière nord était réservé aux paroissiens de Saint-Georges, le cimetière sud à ceux de Sainte-Foy, comme le rappelle Paul Sauter dans son article sur « Les lieux de sépultures à Sélestat de 1100 à 1950 » (*).

Dans l'art funéraire,
il y a des modes

D'une allée à l'autre, on croise des tombes modestes, discrètes. D'autres sont beaucoup sont plus parlantes si l'on connait l'histoire ou les histoires, comme ce fin connaisseur qui préfère rester discret. Là, c'est François-Louis Cetty, « président honoraire de justice, mort le 15 août 1820 ». « C'est un des plus gros "gangsters" du moment de la Révolution. Il a été destitué deux fois et a réussi à se remettre au pouvoir. Comme quoi il savait se débrouiller... » Il aurait notamment fait quelques magouilles immobilières place d'Armes. Aujourd'hui, il y a prescription...
« Dans l'art funéraire, continue notre historien anonyme, il y a des modes. D'abord, il y a les gisants. Puis une période avec des pyramides ou des obélisques. Puis il y eut le grès rose, le grès jaune. Et aujourd'hui les marbres et les granits noirs. Il y a eu aussi une période où les tombes étaient entourées d'un grillage. » Sans conteste, sa préférance va vers « un style moderne, plus paysager : c'est moins triste et ça demande moins d'entretien ».
Correspondant tout à fait au style égyptiano-chrétien évoqué, la sépulture de la famille Roswag domine le cimetière de son imposante taille. Ce monument est un hommage à l'inventeur du système de tissage métallique qui a fait sa fortune et la réputation de Sélestat. Pour l'anecdote, cette tombe n'est pas à proprement parler dans le cimetière : il s'agit d'une enclave privée située sur un terrain communal. C'est la même chose pour les enclaves Lang et Stoffel, toutes proches, et séparées du reste des tombes par des haies.

Etaient mis à l'écart 
les divorcés, les suicidés 
et les innocents

Non loin de l'obélisque Roswag se trouvent les tombes de trois maires de Sélestat, enterrés dans la même rangée, non loin les uns des autres : Albert Ehm, Maurice Kubler - qui repose auprès de son fils Paul, pilote de chasse, mort à 25 ans dans un tragique accident - et Gilbert Estève. Autre grand personnage de la vie de Sélestat à reposer dans le même secteur, Alfred Oberkirch, sous-secrétaire d'État durant la IIIe République, sous le gouvernement Poincaré, sans doute à l'origine de la fête des mères. Mais contrairement aux apparences, il n'y a pas de quartier des maires.
Par contre, « il y avait trois quartiers jusqu'à il y a 20/30 ans », raconte Denis Fond, le fossoyeur, qui se charge également de l'entretien du cimetière. Étaient mis à l'écart les divorcés, les suicidés et les innocents, comme l'on appelait les enfants morts avant leur baptême. Ces trois quartiers se trouvaient à l'écart, accolés au cimetière protestant. Depuis, le cimetière s'est agrandi, en 1980, et la "mixité" est devenue la règle.
Certaines tombes n'en continuent pas moins de retenir l'oeil. Certaines par leur forme comme celle où repose le baron Henri-Ignace-Aloyse Baudinot (1775-1840) au joli décor de rocailles, ainsi que beaucoup d'autres de cette époque. Sur son épitaphe au ton solennel, on peut lire : « Fortune, avancement, titres, armes d'honneur, il dut tout à lui-même et rien à la faveur. » Ce qui est tout de même plus élégant que « Travailler plus pour gagner plus »... Du Premier Empire, on espère bien trouver la dernière demeure du si contesté François-Pierre-Joseph Amey, « le boucher de la Vendée », connu pour avoir rasé, après la Révolution, la commune des Herbiers et fait brûler les femmes dans des fours allumés. Mais non, ce maire de Sélestat, de 1820 à 1830, est mort et enterré à Strasbourg. Ce qui n'est pas le cas de son fils, Pierre-Joseph et de sa fille Rebecca-Joséphine, tous deux enterrés par un père affligé de douleur tel qu'en témoigne les mots gravés sur leurs tombes.

C'était un magnifique 
témoignage d'amour 
au delà de la vie

Parmi les tombes insolites figurent celles de certains hommes d'église, qui ont longtemps eu le privilège de ne pas être enterrés dans le même sens que tout le monde : ils avaient la tête tournée vers Jérusalem ou le soleil couchant, dit-on. Il y a également le caveau néo-gothique de la famille Hoffer, récemment libéré de sa gangue végétale, à l'intérieur duquel il est possible d'apercevoir un groupe de statues polychromes représentant la Sainte Famille. Était-ce l'oeuvre d'un Sichler, comme le mémorial de la guerre 1914-1918, devant lequel pose, grave, une Jeanne d'Arc en armure ? Difficile de le dire. Par contre, on est certain de l'identité de la personne qui a réalisé la statue du tombeau d'Ignace Sichler, fondateur de cette lignée de sculpteurs funéraires - une Minerve tenant une colonne brisée- : il s'agit de son épouse Catherine Vallastre. Un magnifique témoignage d'amour au-delà de la vie... Il est possible d'y voir la preuve indéniable qu'« un cimetière, ainsi qu'aime à le répéter le président de l'association Mémoire de Sélestat Jean-Marc Husser, ça a une âme ».

Jean-Frédéric Tuefferd

(*) Annuaire 2004 et 2005 des amis de la bibliothèque humaniste de Sélestat. Novembre 2009 DNA

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